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Observatoire des Actions de Groupe

Les Actions de groupe au Sénat: Pas de clerc?

La nouvelle version du texte de la proposition de loi, proposée par la Commission des lois du Sénat sous l’impulsion du sénateur Jean-Christophe Frassa, vient de paraître. De nombreuses dispositions innovantes de la version initiale, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 8 février 2023, ont été supprimées. Le texte dont il en résulte est très en deçà des attentes de la doctrine et des praticiens, compte tenu de sa proximité avec le régime actuel. 

En effet, la version initiale proposait la création d’un véritable véhicule procédural universel permettant la défense de tous les droits individuels homogènes, tant que l’action était exercée contre un professionnel. Il en résultait un régime unifié, où toutes les matières, et tous les chefs de préjudices, pouvaient faire l’objet d’une action. La proposition actuelle revient sur cette avancée majeure en limitant le contentieux de la santé et du travail à leur champ d’application actuel. L’action en droit de la santé restera donc limitée aux produits de santé, et celle en droit du travail aux seules discriminations.

De plus, le nouveau régime ouvrait largement, de manière très opportune, l’action aux associations. En plus des associations agréées, les associations régulièrement déclarées depuis deux ans et surtout les associations ad hoc réunissant plus de 50 personnes physiques ou 5 personnes morales, pouvaient instiguer la procédure. Il s’agissait d’une ouverture sans précédent de la qualité pour agir, qui aurait fortement redynamisé le contentieux en permettant aux regroupements ponctuels de victimes de s’unir pour intenter une action. La version actuelle revient à un système classique d’agrément, laissant le monopole des poursuites à une poignée d’associations.

Afin d’écourter les délais, la proposition de loi avait supprimé, sauf en matière de droit du travail, l’obligation de mise en demeure préalable. Celle-ci, applicable en matière de discrimination, d’environnement et de données personnelles, variait entre quatre et six mois. Elle était souvent improductive et rallongeait inutilement les délais de procédure. Elle avait par conséquent été écartée du texte initial. Néanmoins, la nouvelle version de la proposition de loi va plus loin et non seulement réinstaure l’obligation de mise en demeure, mais l’étend à tous les contentieux.

Enfin, une mesure très remarquée de la proposition de loi initiale était l’amende civile qui permettait de sanctionner la faute lucrative ayant causé des dommages sériels d’un montant pouvant aller jusqu’à 3% du chiffre d’affaire hors taxe du professionnel. Attendue depuis longtemps, cette amende consacrait la fonction punitive de la responsabilité civile et le caractère dissuasif de l’action de groupe. Mais suivant l’avis du Conseil d’Etat qui avait exprimé des réserves sur la création de cette sanction, et craignant toujours la désorganisation du secteur économique par une incitation trop forte à respecter la loi, la nouvelle version du texte supprime purement et simplement la sanction civile, et en revient à une conception classique de la responsabilité civile : réparer sans dissuader.

Nous saluerons tout de même quelques avancées conservées par le texte, comme l’ouverture à certaines matières qui n’étaient pas encore inclues dans la loi de 2016 (on pense notamment aux contentieux relatifs aux déséquilibres dans les relations commerciales en droit de la distribution), l’harmonisation des préjudices indemnisables, ou la potentielle prise en charge des frais d’instruction et des dépens par l’Etat.

Pas de clerc ? Le texte en sa version actuelle constitue un franc recul par rapport à sa version précédente, adoptée par l’Assemblée. Si celle-ci prenait en considération certains des freins que les 10 ans de la cousine réfractaire de la class action avaient mis en évidence, le texte actuel les ignore allègrement. Au moment où la France doit transposer la direction sur les actions représentatives en protection des intérêts collectifs des consommateurs par laquelle l’Union européenne a créé les conditions d’aller de l’avant en la matière, l’adoption du texte par les sénateurs constituerait une régression dans la recherche d’effectivité des droits substantiels et d’efficience des procédures en justice.

Pour en savoir plus : https://www.senat.fr/leg/ppl23-272.html

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