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Observatoire des Actions de Groupe

Mise à jour de Jugement Meta

pour Alexandre Predal

Le 20 février 2023, après seulement trois semaines de délibération, le Competition Appeal Tribunal (CAT) britannique a refusé de certifier l’action collective portée par Liza Gormsen contre Meta (ex-Facebook). Cette action collective en opt-out réclame plus de 2,2 milliards de livres sterling pour le compte de 45 millions d’utilisateurs britanniques de Facebook. Elle alléguait que Facebook avait commis de 2016 à 2019 un abus de position dominante en ne rémunérant pas ses utilisateurs pour les données personnelles qu’ils confiaient gratuitement (volontairement ou non) à Meta.

Après une vague d’une dizaine de certifications depuis la décision Merricks de la Cour Suprême en 2020, le tribunal britannique marque un cran d’arrêt qui va imposer aux demandeurs de revoir leur copie au moment de démontrer les pratiques anti-concurrentielles dont ils s’estiment victimes.

Le CAT a classiquement fait application du test dit ‘Pro-Sys’, du nom d’une jurisprudence canadienne, pour mettre en avant le fait que les abus de position dominante allégués n’étaient pas suffisamment démontrés. Ce test requiert des demandeurs qu’ils démontrent qu’ils disposent d’une méthode, au moins en théorie, à l’appui de leur demande. Cette méthode doit être à à même de résoudre la plupart des problèmes substantiels posés par les abus allégués, qui sont souvent complexes et nombreux en droit de la concurrence. D’ailleurs ici, malgré l’existence d’une enquête parallèle du gendarme de la concurrence britannique, Liza Gormsen ne pouvait se fonder sur une décision sanctionnant Meta pour ces faits.

Le CAT a constaté que certaines pratiques alléguées, notamment le caractère potentiellement abusif des CGU de Facebook, relevaient davantage du droit de la consommation que celui de la concurrence, ce qui les rend inéligibles au régime en opt-out prévu par le Competition Act britannique. Le CAT a ensuite considéré que les utilisateurs n’étaient pas en droit de demander que les profits réalisés par Facebook avec leurs données personnelles (notamment la revente à des annonceurs en vue de réaliser des publicités ciblées) leur soient restitués, ceci ne constituant pas un préjudice à proprement parler. Enfin, concernant le dernier abus, à savoir le prix prétendument excessif (en l’occurrence, l’absence de rémunération) imposé par Facebook, le CAT a largement critiqué l’expertise économique au soutien des demandes. Le CAT a d’abord regretté les changements d’approche au fur et à mesure des soumissions, ainsi que l’absence d’une méthode pour résoudre certains sujets éminemment complexes :

  • [le caractère biface du marché :
    • d’un côté, Facebook est en concurrence pour les utilisateurs sur le marché des réseaux sociaux
    • de l’autre côté, Facebook est en concurrence pour les annonceurs sur le marché de la publicité ciblée en ligne
  • le caractère éminemment subjectif et individuel du préjudice subi :
    • certains utilisateurs étaient probablement contents de recevoir des contenus publicitaires personnalisés,
    • tandis que d’autres utilisateurs auraient pu préférer payer pour ne pas voir leurs données collectées et réutilisées,
  • l’analyse des coûts, indispensable pour démontrer que le prix était excessif (car en décorrélation avec les coûts de Meta), n’était pas suffisante. Notamment, la théorie des coûts marginaux est particulièrement complexe à appliquer pour un réseau social, où les effets de réseaux sont omniprésents. Dit simplement, il est très cher d’obtenir le tout premier utilisateur, mais quasiment gratuit d’obtenir le milliardième]

Le CAT précise donc un peu plus le standard de preuve qu’il est nécessaire de démontrer afin d’obtenir la certification d’une action collective. Il précise ici que tout ne sera pas permis et qu’un minimum d’exhaustivité et de détail est nécessaire dans les analyses économiques et juridiques au soutien des demandes. Il a néanmoins donné six mois à Liza Gormsen pour revoir sa copie sur les points d’achoppement précédemment évoqués en vue de satisfaire aux conditions du test ‘Pro-Sys’. Par ce refus, le CAT admet que le niveau de preuve pour obtenir une certification est certes faible, mais néanmoins existant.

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