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Observatoire des Actions de Groupe

Suites judiciaires du scandale Orpea: «On assimile parfois “action collective” et “action de groupe”, à tort»

[Source]

L’enquête de Victor Castanet sur les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Orpea s’est très vite retrouvée accompagnée du terme «d’action collective». La lumière braquée sur les maltraitances infligées à leurs parents, les familles veulent obtenir justice et réparation. Certains avocats de victimes ont déjà annoncé leur volonté d’engager prochainement «une action collective», c’est-à-dire une masse de plaintes déposées conjointement. Cette procédure peut être confondue avec les «actions de groupes» ou encore avec les «class action» à l’américaine, mais est pourtant bien différente.

Pour y voir plus clair Maria José Azar-Baud, avocate, maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, fondatrice et dirigeante de «l’Observatoire des actions de groupe et autres actions collectives», explique à Libération les subtilités de ces procédures collectives, plus complexes qu’elles n’y paraissent.

Qu’est-ce qu’une «action collective» ?

Le terme «d’action collective» n’a pas de définition précise en droit français, il peut englober plusieurs réalités. L’expression est malmenée, notamment parce qu’on assimile parfois «action collective» et «action de groupe», à tort. Cette procédure permet aux membres d’un ensemble de personnes (consommateurs, victimes d’atteintes en matière de santé, environnement, données personnelles…) de mener ensemble une action en justice sous l’égide d’une association agréée, d’un syndicat, ou d’une association régulièrement déclarée depuis cinq ans, pour obtenir réparation d’un préjudice subie ou de faire cesser une situation jugée illégale.

Il en existe d’autres, avec chacune des usages bien précis. Lorsqu’un avocat, saisi par plusieurs personnes, dépose plusieurs plaintes pour des faits similaires, on pourrait parler «d’actions sérielles». Mais il ne s’agit ni d’une «action collective» à proprement parler, ni d’une «action de groupe». Ce sont des actions classiques individuelles présentées en grand nombre.

Peut-on parler «d’action collective» dans l’affaire Orpea ?

Dans l’affaire Orpea, la presse informe que différentes actions seront engagées. L’avocate Sarah Saldmann indique qu’elle mène «une action collective» en rassemblant un grand nombre de plaintes – notamment pour «homicide involontaire», «non-assistance à personne en danger» et «mise en danger de la vie d’autrui» – contre des Ehpad du groupe Orpea qu’elle déposera simultanément au pénal [d’autres avocats ont également été saisis, ndlr].

Des syndicats [CGT, la CFDT et Force ouvrière] ont, eux, évoqué vendredi une potentielle «action de groupe» contre Orpea pour «discrimination syndicale». Une «action de groupe» pour non-respect de contrat, voire des actions conjointes par les familles, ne sont pas à exclure. Chaque stratégie entraîne des conséquences différentes pour les victimes.

Pourquoi engager une «action de groupe» n’est-il pas si simple dans une affaire telle qu’Orpea ?

En théorie, une «action de groupe» est envisageable. Mais «l’action de groupe» à la française comporte plusieurs limites. C’est impossible qu’elle soit engagée directement par une victime, ni par son avocat, ni par une association quelconque. Il faut nécessairement une association agréée derrière. Or, il en existe quinze [UFC-Que Choisir, Familles de France…] et seulement quelques-unes auraient les moyens nécessaires pour agir. Résultat : depuis la loi 2014, seulement 18 actions de groupe ont été introduites par les associations de consommateurs [et 30 si l’on considère tout secteur confondu, y compris devant le juge administratif].

Si malgré tout, une «action de groupe» est engagée dans le cadre d’Orpea, elle ne concernera que les préjudices patrimoniaux, c’est-à-dire les préjudices à caractère économique. Ce qui relève du pénal – les homicides involontaires, les mises en danger de la vie d’autrui – sera nécessairement abordé dans une autre procédure.

En quoi notre «action de groupe» à la française diffère-t-elle de la «class action» à l’américaine ?

La «class action» est une procédure très courante aux Etats-Unis, en Israël, en Australie, au Canada, aux Pays-Bas et au Portugal, mais qui n’existe pas en droit français. Dans une «action de groupe» à la française, seule l’association mandatée agit en justice. Les personnes qu’elle représente peuvent adhérer pour demander des réparations uniquement une fois que le juge a rendu sa décision. Or, cette adhésion a posteriori n’est pas toujours facile : les procédures sont longues et les victimes ont parfois besoin de preuves qu’elles ont perdu au fil des années.

Quelles affaires emblématiques se rapprochent juridiquement d’Orpea ?

Je pense à Helvet Immo, mettant en cause la BNP Paribas [le groupe bancaire français a été condamné en février 2020 pour des prêts immobiliers toxiques qui ont fait au moins 4 600 victimes] ou encore la fraude au diesel dite Dieselgate. Dans ces affaires, il y a un double volet : l’action pénale avec – de très nombreuses – constitutions de parties civiles ; et l’action de groupe, menée par une association. Il n’y a pas de concurrence entre les actions collectives, de mon point de vue elles sont au contraire complémentaires.

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